Ludivine Griveau
Régisseur des Hospices de Beaune
Ludivine Griveau, ingénieur agronome succède en janvier 2015 à Roland Masse au poste de régisseur du domaine des Hospices de Beaune, devenant ainsi la première femme de l’histoire à l’occuper.
3 questions sur l’actualités
Louise Adélaïde Sainderichin
Ça fait quelques semaines maintenant que la vente des Hospices s’est achevée, celle-ci a rencontré un franc succès, les enchères se sont envolées et ont battu des records mais ne craignez-vous pas que les vins de Bourgogne deviennent bientôt inaccessibles ?
Ludivine Griveau
C’est à la fois une crainte et un constat. Au départ ce n’est vraiment pas volontaire, c’est un peu le revers de la médaille. Quand on élabore un vin, on le ne fait pas en se disant que celui-ci deviendra inaccessible, uniquement destiné à une élite. On fait du vin avant tout pour le partager. Quand on s’aperçoit finalement que c’est de moins en moins le cas, c’est très déroutant.
Je me suis bien évidement réjouie des résultats de la vente. Les vins des Hospices de Beaune ont une forte portée symbolique, de plus c’est l’aboutissement d’une année de travail d’équipe mais pour autant je n’ai pas eu le triomphalisme facile. J’ai été évidemment très satisfaite et heureuse, cela a été un véritable ascenseur émotionnel incroyable. Seul un métier comme celui-ci le permet, et en même temps ça suscite de l’inquiétude pour la suite.
La question se pose, nous qui sommes un établissement hospitalier, demain pourrons-nous continuer à accueillir tout le monde et faire des vins pour tout le monde ? Est-ce que les vins de demain seront inaccessibles, je n’ai pas la réponse mais quoi qu’il en soit, ce n’est pas une volonté de notre part.
Louise Adélaïde Sainderichin
C’est vrai que c’est un enjeu particulier pour vous, il existe une forme de dualité entre l’aspect caritatif et spéculatif de la vente.
Ludivine Griveau
Oui, ce n’est pas le premier millésime qui est de faible rendement, ça fait plusieurs années que nous sommes en déficit de production et le manque de volume opère sur la rareté. On le subit depuis plusieurs années, nous aimerions pouvoir produire deux fois plus mais la nature ne nous le permet pas. C’est particulièrement vrai cette année, l’explosion de cette rareté qui a certainement suscité cette hausse incroyable des prix.
Même si nous ne ferons pas machine arrière en un an. Peut-être que si dans les années à venir, on fait des volumes plus corrects, on peut espérer que le prix moyen de la pièce soit plus accessible.
Louise Adélaïde Sainderichin
Le millésime 2021 a été un véritable défi pour de nombreuses régions, vous n’y avez pas échappé, comment appréhendez-vous les années à venir ?
Ludivine Griveau
C’est beaucoup de question en une !
Si la climatologie continue d’évoluer vers un dérèglement climatique, il va très certainement falloir que nous acceptions de remballer nos habitudes techniques puisque c’est un modèle qui ne semble plus fonctionner.
C’est un travail de titan qui prendra peut-être des années, l’idée c’est quand même que ça prenne le moins de temps possible. On a plus la possibilité d’attendre que ça mette en place sur une génération. Aujourd’hui le temps nous est compté, on ne peut plus se permettre d’attendre que ce soient nos enfants qui prennent le relais. C’est à nous qui sommes en place, toutes catégories d’âge confondues de gérer le problème. Il va falloir accepter de repartir d’une feuille blanche sur nos conditions de productions.
Aux Hospices de Beaune, on est très engagés dans tous les projets qui visent à mieux comprendre le dérèglement climatique. Actuellement on se penche sur le sujet du dépérissement, pourquoi nos pieds sont en train de dépérire, est-ce seulement l’impact du climat ou y a-t-il autre chose ? Comme le cumul de nos pratiques viticoles. Ce que nous faisions il y a 15 ans, pourquoi ça ne marche plus maintenant ? Quel sera le matériel végétatif de demain ? Ce que nos aînés ont planté il y a 25 ou 30 ans est anormalement en train de dépérir.
Ce qui me fait finalement vraiment mal dormir aujourd’hui c’est cette vision à long terme, cette pérennité que je dois apporter au domaine. Pour l’instant je n’arrive pas à en être gage.
Louise Adélaïde Sainderichin
Jusqu’à présent tout au long de votre carrière, y a-t-il eut un millésime dont vous avez été particulièrement fière ? Quelle qu’en soit la raison.
Ludivine Griveau
Je pense que c’est 2021. Ça m’a fait prendre conscience d’à quel point le fait d’avoir engrangé l’expérience des millésimes précédents a été précieux. Cela m’a confortée dans le fait d’avoir besoin d’un socle technique solide, ce n’est pas ma formation au départ.
L’adversité que 2021 a demandé nous a vraiment pousser à l’excellence. J’y ai tout de même laissé des plumes, c’est donc assez paradoxal de dire que c’est mon préféré, celui dont je suis le plus fière. Bien évidement sans parler du résultat de la vente mais de ce qui s’est passé dans les vignes seulement. Je crois que je n’ai jamais été autant à l’écoute de ce que le millésime avait à me dire. J’ai eu la chance de bien interpréter les informations qui m’ont étaient envoyées par la vigne, du moins je les est plutôt bien traitées, non sans mal dormir ! Ca a été un millésime qui a nécessité beaucoup de sang-froid.
3 questions sur l’actualités
Louise Adélaïde Sainderichin
Ça fait quelques semaines maintenant que la vente des Hospices s’est achevée, celle-ci a rencontré un franc succès, les enchères se sont envolées et ont battu des records mais ne craignez-vous pas que les vins de Bourgogne deviennent bientôt inaccessibles ?
Ludivine Griveau
C’est à la fois une crainte et un constat. Au départ ce n’est vraiment pas volontaire, c’est un peu le revers de la médaille. Quand on élabore un vin, on le ne fait pas en se disant que celui-ci deviendra inaccessible, uniquement destiné à une élite. On fait du vin avant tout pour le partager. Quand on s’aperçoit finalement que c’est de moins en moins le cas, c’est très déroutant.
Je me suis bien évidement réjouie des résultats de la vente. Les vins des Hospices de Beaune ont une forte portée symbolique, de plus c’est l’aboutissement d’une année de travail d’équipe mais pour autant je n’ai pas eu le triomphalisme facile. J’ai été évidemment très satisfaite et heureuse, cela a été un véritable ascenseur émotionnel incroyable. Seul un métier comme celui-ci le permet, et en même temps ça suscite de l’inquiétude pour la suite.
La question se pose, nous qui sommes un établissement hospitalier, demain pourrons-nous continuer à accueillir tout le monde et faire des vins pour tout le monde ? Est-ce que les vins de demain seront inaccessibles, je n’ai pas la réponse mais quoi qu’il en soit, ce n’est pas une volonté de notre part.
Louise Adélaïde Sainderichin
C’est vrai que c’est un enjeu particulier pour vous, il existe une forme de dualité entre l’aspect caritatif et spéculatif de la vente.
Ludivine Griveau
Oui, ce n’est pas le premier millésime qui est de faible rendement, ça fait plusieurs années que nous sommes en déficit de production et le manque de volume opère sur la rareté. On le subit depuis plusieurs années, nous aimerions pouvoir produire deux fois plus mais la nature ne nous le permet pas. C’est particulièrement vrai cette année, l’explosion de cette rareté qui a certainement suscité cette hausse incroyable des prix.
Même si nous ne ferons pas machine arrière en un an. Peut-être que si dans les années à venir, on fait des volumes plus corrects, on peut espérer que le prix moyen de la pièce soit plus accessible.
Louise Adélaïde Sainderichin
Le millésime 2021 a été un véritable défi pour de nombreuses régions, vous n’y avez pas échappé, comment appréhendez-vous les années à venir ?
Ludivine Griveau
C’est beaucoup de question en une !
Si la climatologie continue d’évoluer vers un dérèglement climatique, il va très certainement falloir que nous acceptions de remballer nos habitudes techniques puisque c’est un modèle qui ne semble plus fonctionner.
C’est un travail de titan qui prendra peut-être des années, l’idée c’est quand même que ça prenne le moins de temps possible. On a plus la possibilité d’attendre que ça mette en place sur une génération. Aujourd’hui le temps nous est compté, on ne peut plus se permettre d’attendre que ce soient nos enfants qui prennent le relais. C’est à nous qui sommes en place, toutes catégories d’âge confondues de gérer le problème. Il va falloir accepter de repartir d’une feuille blanche sur nos conditions de productions.
Aux Hospices de Beaune, on est très engagés dans tous les projets qui visent à mieux comprendre le dérèglement climatique. Actuellement on se penche sur le sujet du dépérissement, pourquoi nos pieds sont en train de dépérire, est-ce seulement l’impact du climat ou y a-t-il autre chose ? Comme le cumul de nos pratiques viticoles. Ce que nous faisions il y a 15 ans, pourquoi ça ne marche plus maintenant ? Quel sera le matériel végétatif de demain ? Ce que nos aînés ont planté il y a 25 ou 30 ans est anormalement en train de dépérir.
Ce qui me fait finalement vraiment mal dormir aujourd’hui c’est cette vision à long terme, cette pérennité que je dois apporter au domaine. Pour l’instant je n’arrive pas à en être gage.
Louise Adélaïde Sainderichin
Jusqu’à présent tout au long de votre carrière, y a-t-il eut un millésime dont vous avez été particulièrement fière ? Quelle qu’en soit la raison.
Ludivine Griveau
Je pense que c’est 2021. Ça m’a fait prendre conscience d’à quel point le fait d’avoir engrangé l’expérience des millésimes précédents a été précieux. Cela m’a confortée dans le fait d’avoir besoin d’un socle technique solide, ce n’est pas ma formation au départ.
L’adversité que 2021 a demandé nous a vraiment pousser à l’excellence. J’y ai tout de même laissé des plumes, c’est donc assez paradoxal de dire que c’est mon préféré, celui dont je suis le plus fière. Bien évidement sans parler du résultat de la vente mais de ce qui s’est passé dans les vignes seulement. Je crois que je n’ai jamais été autant à l’écoute de ce que le millésime avait à me dire. J’ai eu la chance de bien interpréter les informations qui m’ont étaient envoyées par la vigne, du moins je les est plutôt bien traitées, non sans mal dormir ! Ca a été un millésime qui a nécessité beaucoup de sang-froid.
Votre carrière, vos attentes, vos appréhensions
Louise Adélaïde Sainderichin
Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir le vin comme carrière ?
Ludivine Griveau
C’est plutôt le vin qui m’a choisie. Au départ j’ai fait des études qui ne me poussaient pas dans le milieu viticole. Je ne suis pas issue du monde du vin et je pense que j’ai eu la chance de faire les rencontres qu’il fallait.
J’ai vécu dans une famille épicurienne, j’ai été très tôt baignée dans l’amour des bonnes choses mais j’étais dans une famille qui regardait à la dépense. Je ne pouvais pas forcément faire des études longues. Je d’abord fait un DUT que j’ai majoré ce qui m’a permis d’intégrer une école d’ingénieur. Rapidement j’ai animé le club œnologie.
L’institut de la vigne et du vin à Dijon a proposé aux deux meilleurs élèves de passer le diplôme d’œnologue en un an au lieu de deux grâce aux équivalences qu’offrait l’école d’ingénieur. J’ai relevé le défi et j’ai passé ma dernière année d’école d’ingénieur et mes deux années de DNO en un an.
Un jour comme je ne trouvais pas, je suis allée voir mon directeur et je lui ai dit que j’abandonnais le cursus du DNO malgré mon envie de continuer, faute de stage. Ce qui est amusant, c’est qu’il avait un rendez-vous juste après avec Nadine Gublin. Elle m’a entendue parler de mes difficultés pour trouver un stage. Elle est entrée dans le bureau, m’a mis la main sur l’épaule et m’a proposé un stage. Encore aujourd’hui c’est mon mentor, je lui dois beaucoup.
Louise Adélaïde Sainderichin
La filière viti-vinicole est souvent qualifiée de masculine, avez-vous l’impression d’en avoir fait plus pour y arriver ?
Ludivine Griveau
Sans appel oui ! Mais je ne suis pas sûre que ce ne soit pas une part de nous-même en tant que femme qui nous l’imposons. Dans les faits, j’ai le sentiment d’en avoir fait plus. Finalement est-ce que vraiment on me l’a demandé ou je m’en suis sentie obligée, je ne sais pas où je place la frontière. Ça reste insidieux, personne ne nous le demande vraiment mais ce sentiment de devoir en faire plus et très présent.
Je ne conteste pas que cela puisse être un privilège dans certaines situations, j’apprécie la galanterie par exemple mais dans le monde du travail, on se permet de poser des questions a une femme sur ses choix sur ses décisions qui ne seraient jamais posées à un homme.
La question de la gestion familiale et professionnelle revient régulièrement, même si celle-ci n’est pas formulée de façon malveillante, cette question n’est jamais quand même jamais posée à un homme.
Il existe encore une minorité qui n’aime pas l’idée de nous voir à des postes stratégiques. C’est peut-être moins qu’auparavant mais ça arrive encore de s’y heurter. Je vais faire mon huitième millésime, je peux quand même considérer que je suis rentrée dans mon poste et pourtant je ressens encore que je suis parfois attendue au tournant du fait que je sois une femme.
J’ai une chose à dire, Il faut oser !
Louise Adélaïde Sainderichin
Selon vous, quelles sont les principales qualités nécessaires pour occuper votre poste ?
Ludivine Griveau
Le sang-froid !
Mais si j’ai le droit d’en donner deux, je dirais le sang-froid et l’humilité. Le reste c’est facile à avoir, aimer ce que l’on fait, la passion, le monde du vin est tellement fabuleux.
Louise Adélaïde Sainderichin
Avez-vous connu des échecs dans votre vie professionnelle, si oui, lesquels ?
Ludivine Griveau
Oui et heureusement finalement même si je déteste le dicton qui dit c’est dans l’échec que l’on apprend ! Pourtant je suis bien obligée d’admettre que c’est vrai !
Bien sûr, j’en ai connus, j’ai raté la prise en main de mon poste au sein des Hospices de Beaune pendant mes tout premiers mois. A l’occasion de mon premier millésime, j’ai commis l’erreur de penser que ce serait en étant dans rôle de femme forte, dure. Je n’ai pas réussi ma prise de poste du point de vue des ressources humaines.
C’était un peu mon talon d’Achille lors de mon recrutement, c’est vrai que j’aime bien que l’on comprenne vite quand je dis quelque chose, j’aime bien que ça aille vite.
Un jour, un monsieur m’a dit : « il faut que vous gardiez votre réactivité et que vous gardiez votre immédiateté »
Louise Adélaïde Sainderichin
Quel conseil donneriez-vous à la jeune génération qui souhaite se lancer ?
Ludivine Griveau
De travailler dur et de croire en soi. De se faire confiance.
Je n’ai pas l’impression de combattre le monde masculin, je mène des combats. Sous mes airs sûre de moi et à l’aise, peu de personne connaissent mon moi intime. Je ne suis en réalité jamais sûre de moi.
Louise Adélaïde Sainderichin
Mais ne le sommes-nous jamais ? N’est-ce pas cela qui fait que nous pouvons nous surpasser par moment ?
Ludivine Griveau
Très certainement mais c’est plus avec moi-même que le fait du genre féminin ou d’être dans un monde masculin. C’est pour cela que si des jeunes femmes ont envie de prendre ce chemin, elles seront confrontées à l’adversité de ce monde masculin mais il faudra de toute façon, comme n’importe qui à des postes difficiles, croire en soi, se faire confiance sans perdre son humilité et accepter quand on est en difficulté de faire appel aux conseils de quelqu’un, que ce soit l’entourage familier ou professionnel.
Louise Adélaïde Sainderichin
Croyez-vous qu’il puisse être nécessaire de s’endurcir ?
Ludivine Griveau
Surtout pas ! J’ai fait cette erreur et ça se sent dans le millésime 2015, j’ai trop extrait, j’y suis allée fort, je voulais prouver que j’étais à ma place. Les vins sont bons mais aujourd’hui je ne fais plus les mêmes vins. Ça a été tellement difficile lors de ma prise de poste avec les équipes, j’avais le sentiment qu’il fallait que je m’impose.
Il ne faut pas s’endurcir, il faut vraiment apprendre à se faire confiance. On est ce que l’on est, s’endurcir c’est un peu rentrer dans la peau d’un autre, c’est aussi un peu trahir qui on est et la raison pour laquelle on nous a choisie.
Louise Adélaïde Sainderichin
J’ai deux questions, tu peux répondre aux deux questions ou n’en choisir qu’une seule : Comme serait constituée votre cave idéale ? Quel est votre proverbe préféré ?
Ludivine Griveau
Mon proverbe préféré, je ne sais si c’en est un mais j’ai grandi avec cette phrase que mes parents ont toujours dite : « N’oublie jamais que le parebrise sera toujours plus grand que le rétroviseur. » Tu te sers du passé mais tu avances !
Ma cave idéale, vins de Bourgogne et vins d’Italie.
Louise Adélaïde Sainderichin
Pour finir, auriez-vous une bonne adresse que vous souhaiteriez partager, une cave, un restaurant, un lieu en particulier à Beaune ou ailleurs ?
Ludivine Griveau
J’en ai plein ! Il y a un restaurant que j’adore, avec une approche de rendre les vins accessibles. Le Soufflot à Meursault. C’est l’occasion de gouter des très belles bouteilles. Il applique simplement un droit de bouchon de 15€ et tu y manges très bien. J’aime cette approche, cette philosophie de la vie et du vin.
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